Portrait: Ibrahima Hamidou Dème : Itinéraire d’un juge rebelle

Portrait: Ibrahima Hamidou Dème

iGFM-Il n’a pas l’étoffe d’un taiseux. Quelqu’un qui courbe l’échine, se contentant de profiter de ses privilèges de cadre supérieur. Ibrahima Hamidou Dème est, en effet, un magistrat qui sait dire non. Un rebelle dans l’âme. Un homme qui sait claquer la porte.

Le 1e février 2017, il avait annoncé la couleur, en démissionnant avec fracas du Conseil supérieur de la magistrature (Csm) où il était coopté pour représenter ses pairs. Ne pouvant pas faire le travail pour lequel il avait été choisi, il avait tout simplement préféré rendre le tablier. Il était alors Substitut général à la Cour d’appel de Dakar.

Les consultations à domicile, la pomme de discorde

Dans une lettre adressée au chef de l’Etat, Macky Sall, il dénonçait la violation des textes par le garde des Sceaux et Vice-président du Conseil supérieur de la magistrature, Sidiki Kaba à l’époque. “Par décret du 3 août 2016, vous aviez constaté mon élection en qualité de représentant du collège du deuxième grade au Conseil supérieur de la magistrature. Depuis lors, le Conseil que vous présidez, ne s’est pas réuni. Néanmoins, le ministre de la Justice, chargé de préparer les propositions de nomination, a fait recours cinq fois, à la procédure dite de «la consultation à domicile» pour la désignation de magistrats, parfois à des postes très importants de l’appareil judiciaire. Cette procédure, consistant en une saisine individuelle des membres du Conseil pour recueillir leur avis sur les propositions formulées, ne garantit ni la transparence, ni le respect du principe constitutionnel de l’inamovibilité du juge. C’est la raison pour laquelle, elle n’a été utilisée par le passé, que pour des actes isolés et urgents (détachement, mise en position de stage ou nomination de magistrats après la formation initiale). Actuellement, sans doute conforté par la légalisation de cette pratique par la récente réforme de la loi organique sur le Conseil Supérieur de la Magistrature, le ministre de la Justice y fait recours systématiquement. L’exception semble devenir la règle”, écrivait-il dans sa lettre.

Il avait manqué de peu à une traduction devant le Conseil de discipline. Mais il n’en avait cure.

Un an plus tard, celui qui avait fini par se sentir à l’étroit au temple de Thémis, a préféré démissionner de la magistrature, de l’administration. Une décision, prise ce lundi 26 mars 2018, qui ne surprend pas ceux qui connaissent ce hal pulaar bon teint, très à cheval sur les principes.

Greffier à 23 ans, magistrat à 29 ans

Né en 1975 à Thiès, le jeune Ibrahima Hamidou Dème est de la race des rebelles, mais à la tête bien faite. Greffier à 23 ans, il est finalement devenu magistrat à l’âge de 29 ans après une brève formation comme commissaire aux enquêtes économiques. Fonction qu’il cumule avec celle d’enseignant à la Faculté de droit.

En 1995, en effet, il avait intégré la première promotion du Centre de formation judiciaire (Cfj). Deux années plus tard, il tenait les plumitifs d’audience au Tribunal hors classe de Dakar, son premier poste comme greffier. Il n’avait que 23 ans. Malgré son emploi de temps chargé, il se donne le temps de poursuivre ses études. Il réussit en même temps aux concours d’entrée de l’Ecole nationale d’Administration (Ena) et du Centre de formation judiciaire (Cfj). Le jeune Déme débute alors une formation de Commissaire aux enquêtes économiques avant de quitter l’Ena pour intégrer le Cfj, hiérarchie A.

Dans l’enceinte de l’Ex-Enam, il côtoie l’actuel Procureur du Tribunal de grande instance de Dakar, Serigne Bassirou Guèye, le secrétaire général de la Présidence, Maxime Jean Simon Ndiaye, et d’autres hauts fonctionnaires.

Trois ans plus tard, il prête serment et «jure de bien et fidèlement remplir (ses) fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de (se) conduire en tout comme un digne et loyal magistrat». Serment qu’il a tenu vaille que vaille à respecter.

Il gravit petit à petit les échelons et ses collègues, qui connaissent son mérite, finissent par le choisir parmi les membres élus du Conseil supérieur de la magistrature. La suite, on la connait.

Interrogé au lendemain de sa démission du Csm, il confiait : «Tout le monde constate et c’est un euphémisme que de dire que la justice est sous pression. Nous savons tous que, par rapport à l’actualité judiciaire, tous les acteurs de la justice regrettent la manière dont certains dossiers sont traités. Et pour nous, il faut un sursaut qui puisse permettre à la justice de retrouver son lustre d’antan.» Ce sursaut, il aura beau attendre, il ne le verra pas. Dès lors, il n’avait plus rien à voir dans cette magistrature qui ne répondait plus à ses aspirations.

Daouda MINE

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